Plus
qu’une simple revisite d’une des plus grandes énigmes policières,
« From Hell » - dont le titre fait référence à
l’unique lettre authentifiée de « Jack l’éventreur »
(il faut dire qu’elle accompagnait un rein prélevé sur une de ses
victimes), envoyée depuis l’enfer, si on en croit son auteur - est
avant tout l’adaptation du monumental roman graphique d’Alan Moore
et Eddie Campbell, une œuvre foisonnante, ayant nécessité 10 ans de
recherches à l’un des plus talentueux scénaristes de bande dessinée.
Totalement fasciné par le mythe du tueur de Whitechapel, Alan
Moore s’est lancé dans une incroyable reconstitution des faits
et a avalé toute la littérature, de plus ou moins bon goût, que le
mystère, lié à l’affaire, a engendré.
Il
en retient, entres autres, la théorie du complot d’état, étayé
par Stephen Knight dans « Jack The Ripper, The
Ultimate Solution ». Une incroyable thèse parvenue à faire
le lien entre le rituel sanglant du tueur, alliant précision
chirurgicale et symbolique maçonnique (les franc-maçons étant très
impliqués dans les affaires de l’Etat)e époque), le choix des
victimes (qui se connaissaient toutes, à l’exception de Catherine
Eddowes, assassinée en sortant d’un commissariat où elle avait
utilisé le faux-nom de Mary Kelly) et le scandale de « Cleveland
Street » (le Prince Edwards, petit-fils de la reine aux
penchants bisexuels, aurait eu une aventure avec une boutiquière de
Whitechapel et, lui ayant donné un enfant, l’aurait épousé
catholiquement dans le plus grand secret).
Dès
lors, suffisamment maître de son sujet, le scénariste de « V
pour Vendetta », « Watchmen » ou encore
« Souriez », s’accapare définitivement le mythe
pour le fondre dans son propre univers. Une dimension fictionnelle, où
les réalités sociologiques, économiques et politiques ne sont que
la résultante de grands desseins mystiques à la symbolique omniprésente.
Au résultat, une oeuvre grandiose (un pavé de 500 pages, agrémenté
de 100 pages de notes absolument pas superflues) dans laquelle
« Jack l’éventreur » s’accorde la paternité du 20ème
siècle. Rien que ça.
Cela
faisait une bonne dizaine d’années que Hollywood tournait autour de
l’œuvre de Alan Moore, baissant chaque fois les bras face à
la densité et à la complexité de ses scénarii, difficilement déclinables
en un simple métrage.
Après la tentative de Terry Gilliam avec « Watchmen »,
considérée trop longue et donc trop chère, puis celle de « V
pour Vendetta » des frères Wachowski, trop violente
et trop sombre, c’est, un peu à la surprise générale, le projet
« From Hell », des frères Hughes, qui décroche
la timbale et se voit porté à l’écran.
On ne les attendait pas vraiment sur le registre du thriller
historique et horrifique à tendance gothique, et pourtant les deux réalisateurs
black de « Menace 2 Society » accouchent d’une œuvre
totalement maîtrisée, grandiose et terrifiante.
Véritable plongée en Enfer, Londres, soumise aux règles de la
corruption, du complot et de la raison d’état, voit son univers
vaciller à l’approche du 20ème siècle, au rythme du
bras d’un sculpteur de chair humaine, véritable catharsis de la
violence et de la perversion d’une société malade.
Magnifique.
Tout d’abord visuellement, avec cette somptueuse reconstitution du
Londres de l’époque victorienne, de la misère, ses drames et le
crime ambiant. Les sombres ruelles de Whitechapel, les arrières-courts
sordides, où parfois les hommes éjaculent à la va-vite entre les
cuisses d’une prostitué à 3 pennies. Les églises aux formes
dionysiaques, œuvres de l’architecte Hawksmoor, pesant sur
la ville comme autant de symbole de la démence de l’éventreur, ou
encore les visions d’Abberline qui, comme à travers un œilleton
spatio-temporel, délivrent les clés de l’affaire.
Mais aussi sur le plan narratif, puisque les frères Hughes optent
pour une approche radicalement différente tout en respectant les
enjeux contenus dans le pavé de Moore et Campbell. Ils dotent, par
exemple, l’inspecteur Abberline d’une sorte de sixième sens, une
vision extrasensorielle lui permettant d’appréhender le cheminement
intellectuel du tueur et de percevoir les implications de son
effroyable quête.
Ajoutons
à cela un casting d’une excellente tenue, comprenant, en plus de Johnny
Depp et Ian Holm, un vrai personnage pour Heather Graham
et une formidable galerie de seconds rôles. Et, pour conclure cette
critique élogieuse, reste encore à signaler la qualité des images
de Peter Deming (« Lost Highway », « Mulholland
Drive ») et la partition de Trevor Jones (« Dark
City », « Angel
Heart »).
Une véritable réussite, un chef-d’œuvre qui
devrait surprendre les lecteurs du bouquin et donner envie aux
spectateurs de découvrir la BD (ce qui fut d’ailleurs mon cas).
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FICHE
TECHNIQUE
Titre original : FROM
HELL
Réalisation
: Albert et Allen Hughes (Les frères Hughes)
Scénario : Terry Hayes et Rafael Yglesias d’après la bande
dessinée de Alan Moore et Eddie Campbell
Producteurs : Jane Hamsher, Don Murphy
Producteurs exécutifs : Thomas M. Hammel, Albert Hughes, Allen
Hughes, Amy Robinson
Musique originale : Trevor Jones et chanson de Marilyn
Manson
Image : Peter Deming
Montage : George Bowers, Dan Lebental
Distribution des rôles : Joyce Gallie, Christian Kaplan
Création des décors : Martin Childs
Direction artistique : Mark Raggett
Création des costumes : Kym Barrett
Maquillage : Steve Painter, Neil Gorton, Jiri Farkas
Production : 20th Century Fox, Stillking, Underworld
Entertainment
Distribution : UGC-Fox Distribution (UFD)
Effets spéciaux : Digiscope , Illusion Arts, Inc.,
MagicMove, Millennium FX Ltd.
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