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Long
Courrier, retour pour la longue distance chez Dargaud
Par Fabrice Leduc
Huit
ans déjà que Dargaud créait cette collection
faite pour des albums dépassant les limites du tomage en
46 planches.
Long Courrier accueille alors des projets sortant des frontières
classiques de la bande dessinée. Place au long cours, à
l'imagination, les auteurs peuvent creuser le sillon de l'aventure,
s'attarder sur quelques personnages, laisser vagabonder leur créativité.
Janvier 2004, Long Courrier réapparaît après
une longue absence certainement due à un manque de réactivité
du public.
Avec l'explosion du marché Mangas, la naissance d'autres
collections axées sur le récit en un ou deux tomes
mieux "garnis", le public semble plus mature pour s'engager
dans des récits de longue haleine. Par contre, il est las
de continuer à subir des albums à moitié vides
(ou à moitié pleins quand ils sont bons!) qui se succèdent
au rythme d'un tous les ans, deux ans, voire pire pour des séries
indéterminées. Savoir où on va me semble être
un préalable à toute aventure illustrée face
à un marché endiablé où des séries
disparaissent à peine après avoir balbutié
leur introduction.
Nous voilà donc avec Trilogies chez EP, Grand Large chez
Soleil, Polyptique pour Le Lombard (séries longues, mais
au nombre d'albums déterminé), sans oublier Aire libre
en Dupuis ou Delcourt imaginant et annonçant ses Insomnies
en 2 ou 3 albums.
Et Dargaud, après ces très beaux albums que furent
Marée Basse de Gibrat (Ah ! les femmes de Gibrat...
ça me reprend !), Lie-de-Vin avec Berlion, Il faut
y croire pour le voir par Forest et Bignon, La saison des
anguilles de , Wyoming Doll de Franz et Le constat
de Davodeau (tous réédités d'octobre 2003 à
mai 2004), revoit sa copie pour livrer une nouvelle charte graphique
et une maquette rénovée. Sans avoir annoncé
le grand retour de Long Courrier (c'est plus porteur en janvier
juste avant Angoulême), l'éditeur à déjà
rôdé son affaire en sortant Cœur Tam-Tam par
Benacquista et Berlion (sortie doublée de la réédition
de Marée Basse). L'album est typique de ce qui vous
sera proposé, lecteurs fidèles : un cadre habituel,
normal, de type petit village de la France profonde et la nostalgie
d'un ailleurs, presque d'une autre vie... Soudain, la tranquillité
part en brioche, l'aventure s'invite bruyamment, violemment dans
un havre de paix, de retraite.
Benacquista adapte une nouvelle parue dans "La machine à
broyer les petites filles" (Ed. Rivages), du polar urbain,
du polar dans les provinces françaises, des personnages hors-normes
(rappelez-vous "Les morsures de l'aube" ou 'l'Outremangeur").
Et pour suivre ce joli relancement, ce sont Corbeyran et Balez qui
s'annoncent en janvier 2004 avec Le village qui s'amenuise,
une fable divertissante se nourrissant de fantastique dans un village
pittoresque. Tragédie et bon mots, comédie humaine
aux senteurs de terroir.
Magie
pour un autre village fleurant bon la Méditerranée
avec Où le regard ne porte pas... qui annonce deux
gros albums de 92 pages. Là encore, la paisibilité,
le soleil, le bonheur simple... Mais derrière cette quiétude
se perpétue la méfiance de l'étranger qui débarque,
"l'envahisseur" qui risque de bouleverser les habitudes,
celui qu'il faut provoquer, agacer, humilier, afin qu'il reparte
chez lui. Le soleil ne se partage pas...!
Ce sont Georges Abolin et Olivier Pont qui se sont inscrits dans
ce projet. Six années pour réfléchir à
une aventure qui prend en compte le regard des enfants pour aborder
ce sujet par trop habituel dans la conscience humaine !... Une étude
poussée pour approfondir la psychologie des personnages,
pour éviter les surcharges graphiques. Un investissement
de passionnés, un challenge qui forcément va aboutir
sur une aventure forte, humaine, dépassant un sujet terre-à-terre
pour plonger vers le mystère, le drame... Du plaisir assuré
dès qu'on découvre la légèreté
du dessin, l'efficacité du découpage, la beauté
des couleurs de Chagnaud. Là, votre regard doit porter !
Ce
mois de janvier apporte une troisième lettre en Long Courrier,
un message d'Eric Stalner qui débute Blues 46 par
une complainte d'automne intitulée La chanson de septembre.
Le Lot, la pluie, un gamin trempé au bord de la route, un
dérapage et après une sortie de fossé difficile,
Guéric se retrouve avec un jeune compagnon à bord.
Il va chez sa tante mais, arrivé à bon port, ce sont
des tontons flingueurs qui l'attendent. Bruit de balles, sang...
dans la verte campagne démarre un road-movie matiné
de thriller à l'américaine.
Les fans de Stalner vont retrouver son trait réaliste, une
propreté de dessin au profit d'un découpage clair,
incisif, dynamique. La saga prend vite l'allure d'un polar sur grand
écran, d'une histoire en deux albums de 54 pages qui va en
régaler plus d'un.
Long
Courrier était vite devenue pour moi un label fétiche.
Je ne pouvais que regretter son absence. J'espère qu'il en
est de même pour vous et que vous reprendrez le train de l'évasion
avec des auteurs libérés de contrats à longs
termes et d'astreintes interminables. La BD est libre dans ce type
de formule, libre de rejoindre les grands moments de la littérature
d'évasion ou du cinéma qui pense au véritable
jeu des acteurs. Une grande ambition renaît avec ce Long
Courrier que j'espère interminablement bavard !...
(Dargaud, Long Courrier, titres de 56 à 92 pages, prix
unique de 13 )
(24/01/04)
Fabrice Leduc
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